Une implantation stratégique en Europe
À 160 km au sud de Budapest, la capitale hongroise, se trouve un vaste site industriel où des bâtiments d’usine en cours de construction s’étendent sur plus d’un kilomètre carré d’anciens champs de blé. C’est ici que BYD s’implante, au cœur de l’Europe. D’ici la fin de l’année, les premiers véhicules électriques sortiront d’une usine située sur ce site, grâce au constructeur chinois, le plus grand vendeur de voitures à batterie au monde et celui que les constructeurs automobiles traditionnels redoutent le plus.
À partir de 2026, cette usine produira environ 150 000 berlines compactes entièrement électriques par an, idéales pour les rues étroites. La production devrait passer à 300 000 voitures par an d’ici à 2030. Si les intentions de BYD n’étaient pas assez claires, une avalanche de panneaux d’affichage et de publicités télévisées à travers le continent présente le slogan « Fabriqué en Europe, pour l’Europe ». À plus de 8 300 km du siège social de Shenzhen, l’usine est un élément crucial de la poussée tous azimuts de BYD vers la primauté mondiale, dans une industrie qui a été pratiquement créée par un nom beaucoup plus familier : Tesla.

BYD face à Tesla et aux constructeurs historiques
Selon certains indicateurs, Tesla a toujours le vent en poupe : sa valorisation d’approximativement 1 000 milliards de dollars est sept fois supérieure à celle de BYD, et bien supérieure à celle de tout autre constructeur automobile. Tesla reste la première marque de véhicules électriques aux États-Unis, où les constructeurs chinois sont effectivement bloqués par des droits de douane supérieurs à 100 %. Mais à l’échelle mondiale, BYD devance ses concurrents. Et son succès est un cauchemar tout aussi réel pour les anciens géants automobiles du classement Fortune Global 500, tels que GM, Toyota, Ford et Volkswagen, dont l’immense influence a façonné le secteur pendant des décennies.
Selon l’Agence internationale de l’énergie, la Chine a produit plus de 70 % de tous les véhicules électriques l’année dernière, tandis que les constructeurs européens en ont produit 14 % et les américains moins de 10 %. Dans l’industrie automobile mondiale, qui pèse plus de 4 000 milliards de dollars, les stratégies de croissance effrénée des constructeurs automobiles chinois, menées par BYD, ont fait voler en éclats le barrage. La transition de Volkswagen vers les véhicules électriques a enfin pris de l’ampleur ; en juillet, le constructeur a annoncé que ses ventes de véhicules électriques avaient presque doublé en glissement annuel au premier semestre 2025. Mais il perd des parts de marché au profit de BYD presque partout, en particulier en Chine. Et VW et d’autres constructeurs automobiles européens sont assiégés chez eux : Chery, Xpeng et Geely font partie des entreprises chinoises à la recherche de sites de production européens, ce qui pourrait les aider à éviter les droits de douane.
Une ascension fulgurante et des ambitions mondiales
Jusqu’à récemment, peu de gens imaginaient que BYD, ou Build Your Dreams, pour utiliser son nom complet, pourrait écraser les acteurs historiques du marché. Mais sa trajectoire ces dernières années a été surprenante : elle a vendu 4,25 millions de voitures l’année dernière, soit 10 fois plus qu’en 2020, et vise à en vendre 5,5 millions cette année. La plupart de ses ventes en 2024 concernaient des hybrides rechargeables. Deux nouvelles usines BYD en Chine auront chacune une capacité de production supérieure à celle de la plus grande usine automobile mondiale actuelle, le complexe Volkswagen de Wolfsburg, en Allemagne. Avec un chiffre d’affaires en hausse de 27 % pour atteindre 108 milliards de dollars en 2024.
Au niveau mondial, Tesla a vendu 384 000 voitures au deuxième trimestre de cette année, tandis que BYD a vendu près de 607 000 véhicules électriques au cours de la même période. (Apparemment en réponse à cela, Musk s’est séparé de son directeur des opérations aux États-Unis et en Europe en juin et a pris lui-même cette fonction.) Les ventes de Tesla ont connu des difficultés partout, car de plus en plus d’acheteurs semblent rebutés par les opinions politiques de Musk, ainsi que par les prix élevés et le choix limité de modèles proposés par Tesla. Mais ce changement a été particulièrement notable en Europe, où BYD a dépassé Tesla en termes de ventes pour la première fois en mai.
La question est de savoir si BYD peut maintenir ce rythme effréné et continuer à prospérer, même si les États-Unis restent hors de portée. La réponse pourrait venir d’Europe, où vivent 450 millions de personnes dans des dizaines de pays, dont beaucoup sont des économies riches. BYD a vendu près de 55 000 voitures en Europe entre janvier et mai. Cela ne représente qu’un petit 1 % du marché régional, mais c’est trois fois plus que ses ventes au cours de la même période l’année dernière. BYD peut proposer des prix défiant toute concurrence, subventionnés par le gouvernement chinois selon les analystes, afin de gagner des parts de marché.
Une stratégie unique et soutenue
Pour s’implanter à l’échelle mondiale, BYD a emprunté une voie radicalement différente de celle des autres constructeurs automobiles. Elle a été fondée en 1995 par Wang Chuanfu en tant que fabricant de batteries, une décision qui s’avère aujourd’hui brillamment prémonitoire. Wang, ingénieur devenu orphelin à l’adolescence, a emprunté de l’argent à son cousin pour lancer l’entreprise. BYD a connu un certain succès en vendant des batteries lithium-ion à des fabricants d’électronique grand public, notamment aux États-Unis.
Mais Wang a réinventé BYD en 2003 lorsqu’il a racheté un constructeur automobile chinois en difficulté, après avoir conclu que ses batteries pourraient plus facilement transformer l’industrie automobile que le monde technologique. Cette décision a attiré un investisseur transformateur : Warren Buffett, qui a injecté 232 millions de dollars dans BYD en 2008, par l’intermédiaire de Berkshire Hathaway, pour une participation de 10 %, lui permettant ainsi de devenir un constructeur automobile compétitif.
Les premiers véhicules étaient considérés comme encombrants et laids : « Avez-vous vu leurs voitures ? » s’est exclamé Elon Musk en riant en 2011, lorsqu’on lui a demandé si BYD l’inquiétait. Mais l’approbation de Buffett a permis d’attirer davantage de capitaux et continue aujourd’hui encore à aider BYD à ouvrir des portes. « Il y a quelques années, personne en Europe, et certainement pas en Amérique, n’avait entendu parler de cette entreprise chinoise BYD », explique Sándor Nagy, adjoint au maire de Szeged. « Mais Warren Buffett : eux, ils ont entendu parler de lui. »
Des doutes sur la viabilité du modèle économique
L’aventure hongroise marque un tournant pour BYD. Pendant des décennies, sa stratégie s’est concentrée sur un contrôle strict de sa chaîne d’approvisionnement, y compris les composants les plus précieux de tous les véhicules électriques : les batteries, l’électronique du groupe motopropulseur et les systèmes d’aide à la conduite. L’entreprise fabrique environ 16,4 % des batteries pour véhicules électriques dans le monde. Elle produit également ses propres semi-conducteurs, détient des participations dans des sociétés minières pour les matières premières des batteries et exporte même des voitures sur ses propres cargos. En 2023, la banque suisse UBS a conclu que la forte intégration verticale de l’entreprise lui conférait un avantage en termes de coûts d’au moins 25 % par rapport à ses concurrents constructeurs automobiles.
La présence de BYD pourrait transformer Szeged, une ville universitaire tranquille de 200 000 habitants. L’entreprise a déclaré que son usine emploierait jusqu’à 4 000 personnes, voire 10 000. Mais BYD a beaucoup plus à gagner que la ville hôte. En produisant en Europe, elle évite les droits de douane d’environ 17,5 % imposés l’année dernière après que l’UE ait accusé les constructeurs automobiles chinois de nuire à la concurrence grâce à des subventions publiques.
De nombreux analystes avertissent que ce rythme d’expansion ne sera pas viable pour BYD et les autres constructeurs chinois de véhicules électriques. Jusqu’à présent, cela s’est traduit par une dette croissante et une volonté de renoncer aux profits, ce qui a entraîné des difficultés. Les fournisseurs ont signalé que BYD mettait plusieurs mois à régler leurs factures et, en juillet, le Wall Street Journal a indiqué que BYD avait des milliards de dollars de frais « externes courants » inexpliqués dans son bilan. BYD fait état d’une dette totale d’environ 5,67 milliards de dollars, mais les analystes ont déclaré au Journal que les dettes de l’entreprise envers ses fournisseurs avaient atteint 54 milliards de dollars au cours des cinq dernières années. (BYD affirme que ses informations financières sont entièrement divulguées dans ses rapports trimestriels audités.)
Pour compliquer les choses, les constructeurs automobiles chinois se livrent une bataille sans merci pour s’accaparer des parts du marché en pleine expansion des véhicules électriques en cassant les prix. BYD vend sa très populaire berline Seagull, appelée Dolphin Surf en Europe, à moins de 8 000 dollars en Chine.
BYD et d’autres ne semblent pas s’en soucier, du moins pour l’instant. Les constructeurs automobiles chinois lancent de nouveaux modèles à un rythme deux fois plus rapide que leurs concurrents occidentaux et pour un coût d’investissement deux fois moins élevé, selon le cabinet de conseil new-yorkais AlixPartners. Depuis 2020, date à laquelle Tesla a dévoilé le Model Y, BYD a lancé environ 40 nouveaux véhicules.
Innovations et perspectives d’avenir
Stella Li s’est imposée comme l’ambassadrice et la stratège incontournable de BYD, avec des titres tels que PDG de BYD Americas et Europe. Mme Li parcourt le monde à toute vitesse et revient rarement chez elle à Los Angeles, dit-elle.
Pour Li, c’est également l’occasion de vanter les mérites de BYD auprès d’un public trié sur le volet composé de dirigeants du secteur sidérurgique et de diplomates chinois. Vêtue d’un tailleur-pantalon bleu pastel, elle virevolte dans ses baskets blanches à semelles épaisses, les bras battant l’air, tandis qu’un écran géant derrière elle affiche une série de statistiques sur BYD.
À un rythme effréné, elle annonce que BYD va étendre sa présence commerciale dans 12 pays européens supplémentaires cette année, pour atteindre un total de 1 000 magasins. L’entreprise vient de commercialiser sa millionième Seagull et, en février, elle a lancé son logiciel d’aide à la conduite God’s Eye, qu’elle prévoit d’introduire en Europe. Mais le plus important est peut-être sa nouvelle technologie de recharge rapide, qui permet aux conducteurs de parcourir 1 078 km avec une seule recharge, soit 402 km pour cinq minutes de recharge, aussi rapide que de faire le plein d’essence.
BYD en Europe 🇪🇺
Implantation stratégique à 160 km au sud de Budapest — une usine géante sur plus d’1 km² pour produire des véhicules électriques “Fabriqués en Europe, pour l’Europe”.
Site hongrois
Accélérateur européen
Un maillon clé de la poussée mondiale de BYD, à 8 300 km du siège de Shenzhen.
Production & volumes 🚗
- Ventes BYD l’an dernier : 4,25 M (+10× vs 2020)
- Objectif cette année : 5,5 M
- Q2 : BYD ~607 k vs Tesla ~384 k
- Europe jan–mai : ~55 k (≈ 1 % du marché), ×3 vs N‑1
BYD vs Tesla ⚡
En Europe, BYD a dépassé Tesla en mai (ventes mensuelles).
Contexte mondial 🌍
- Part de production VE : Chine >70 % • Europe ~14 % • USA <10 %
- UE : droits anti-subventions ~17,5 % (contournés par production locale)
- Constructeurs chinois : cadence modèles ×2 pour ½ l’investissement (vs occidentaux)
Intégration verticale 🔋
- Batteries VE BYD : ~16,4 % du mondial
- Avantage coût estimé : ≥25 % (intégration + chaîne matières)
- Seagull (Dolphin Surf EU) : < 8 000 $ en Chine
Capacités & finances 💼
- Deux nouvelles usines en Chine > plus grande usine mondiale (Wolfsburg)
- CA 2024 : ~108 Md$ (+27 %)
- Depuis 2020 : ~40 nouveaux véhicules lancés
Tech & recharge ⚙️
- ADAS “God’s Eye” en déploiement
- Recharge rapide : jusqu’à 1 078 km d’autonomie / 402 km en 5 min*
- Expansion retail : +12 pays EU, objectif 1 000 magasins
Fin d’année
Premiers véhicules sortant du site hongrois.
2026
Régime cible : 150 000 VE/an (berlines compactes adaptées aux rues étroites).
2030
Montée à 300 000 VE/an — ancrage durable “Made in Europe”.